Rencontre avec Constance Meyer et Sébastien Pouderoux

L’ouverture de saison au Théâtre du Vieux-Colombier rend hommage à Gena Rowlands, icone du cinéma américain disparue le 14 août dernier. La réalisatrice Constance Meyer et Sébastien Pouderoux, sociétaire de la Troupe, se sont inspirés du « couple créateur » qu’elle formait avec le réalisateur John Cassavetes. Leur pièce les met tous deux en scène avec la communauté d’acteurs et d’actrices, de producteurs et de critiques qui les entouraient : loin d’un biopic, elle raconte la fabrication d’une œuvre en rupture avec l’industrie hollywoodienne par des artistes qui s’acharnent à rester créatifs envers et contre tout.

Contre
d’après la vie et l’œuvre de John Cassavetes et Gena Rowlands
de Constance Meyer, Agathe Peyrard et Sébastien Pouderoux
mise en scène de Constance Meyer et Sébastien Pouderoux
Théâtre du Vieux-Colombier du 25 SEPT au 3 NOV 24


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  • Chantal Hurault. En quoi le geste artistique de Gena Rowlands et John Cassavetes, figures du cinéma américain indépendant, vous a intéressé théâtralement ?

Sébastien Pouderoux. Avec ce couple, nous explorons des thèmes qui nous tiennent à cœur : la part de transgression – et ses limites – dans le geste créatif, la place de l’artiste dans la société, et de manière plus globale celle de l’individu dans un groupe.

Constance Meyer. Nous avons observé leur façon si particulière de fabriquer des films, de raconter des histoires. Il y a autour d’eux toute une communauté, des personnalités complexes et inspirantes dont on sentait qu’elles pouvaient devenir des figures théâtrales. Le cinéma de Cassavetes nous a guidés tout au long de l’écriture, car il s’obstine à mettre les émotions contradictoires de ses personnages au centre du récit.

  • Chantal Hurault. Comment avez-vous appréhendé l’écriture de cette pièce ?

Constance Meyer. Avec Agathe Peyrard, nous nous sommes plongés dans une matière passionnante de films, de documentaires, d’entretiens, de making-of, d’essais et d’articles de l’époque en restant attentifs aux thèmes qui nous intéressent : le conformisme et l’anticonformisme, la marge et la norme. Ces problématiques sont à la fois au cœur de la vie de Cassavetes et Rowlands, mais aussi – puisque c’est indissociable – de leur œuvre. Le cinéma, pour eux, est plus qu’un art, c’est une manière de vivre.

Sébastien Pouderoux. Après tout ce travail de recherche, nous avons pris le parti de nous éloigner du biopic, de fictionner les situations et les personnages, pour nous concentrer sur les enjeux dramatiques du spectacle. J’ai très tôt repensé à ce que Catherine Robbe-Grillet nous avait dit à la sortie de la pièce de Christophe Honoré, Nouveau roman, dans laquelle je jouais : « Vous avez tout inventé, mais tout est vrai. » Cette phrase nous a beaucoup inspirés.

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  • Chantal Hurault. Une partie de votre pièce se concentre sur la fabrication d’Une femme sous influence. Pourquoi le choix de ce film ?

Constance Meyer. Il marque la rencontre entre une actrice et un réalisateur. Ce n’est pas leur première collaboration mais certainement la plus forte. C’est le chef-d’œuvre de Gena Rowlands. Avec Mabel, elle donne naissance à un type de personnage féminin inédit : une femme au foyer marginale, à la limite de la folie, qui voudrait rentrer dans le moule mais n’y parvient pas. Mabel est une anti héroïne, Gena une anti muse. Le film ne joue d’ailleurs jamais sur sa beauté. C’est sa complexité et sa singularité qui sont magnifiées, elle n’est pas filmée comme une icône. C’est aussi certainement la plus belle projection de Cassavetes lui-même dans un personnage.

Sébastien Pouderoux. Gena a autant fait de John un réalisateur qu’il a fait d’elle une autrice de ses rôles. Ils avaient pourtant des approches presque opposées : Gena tenait obstinément à ce qu’une histoire soit racontée au public. John redoutait le contentement que peut susciter une « intrigue bien ficelée ». D'ailleurs, au moment de Husbands, alors que la Columbia avait validé un premier montage du film, il a décidé de le remonter intégralement pour le rendre plus long, plus âpre et plus violent. C’est sans doute la combinaison de leurs deux démarches qui offre une telle intensité à leur œuvre.

  • Chantal Hurault. Vous êtes un couple d’artistes partagés entre le cinéma et le théâtre. Votre pièce est-elle habitée par l’image cinématographique ?

Constance Meyer. Le spectacle est d’une certaine manière « hanté » par l’image cinématographique mais nous avons entièrement évacué le folklore des plateaux de tournage : ni caméras, ni perches, ni « action », ni « coupez »… Seule la séquence des « spaghettis » d’Une femme sous influence est représentée. Nous voulions montrer, d’une manière fantasmée, la rencontre entre une scène et son réalisateur.

Sébastien Pouderoux.. Notre ambition n’est pas de théâtraliser leur cinéma, ou de reproduire un « style Cassavetes ».Avec la scénographe Alwyne de Dardel, nous avons créé un espace unique, qui sert de lieu de vie, de travail, de fête, de déposition de police ou d’émission critique…
Le principe n’est pas de plonger le public dans une époque donnée mais de lui faire traverser les préoccupations de nos personnages à différents moments de leur vie.

Constance Meyer. Le spectacle est bâti à partir de trois grands pôles : la fabrication d’Une femme sous influence ; l’univers des critiques (qui crée une dialectique entre les films et leur réception) ; et les scènes de dépositions dans un bureau de police au milieu des années 1980. Celles-ci, filmées en gros plans et projetées en direct, sont la seule incursion de l’image et peuvent lointainement être perçues comme une évocation de Faces.

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  • Chantal Hurault. Les dépositions ont lieu dans le cadre d’une plainte concernant une altercation fictive entre Cassavetes et le chef opérateur de Shadows. Vous détournez ici une affaire réelle entre les deux hommes à la fin des années 1950 : un litige sur la répartition des bénéfices du film. Quel fil tirez-vous de cette plainte fictive ?

Sébastien Pouderoux.. Cassavetes était coutumier des esclandres. À mesure que le spectacle avance, avec l’éclairage nouveau qu’apporte chaque personnage, on comprend mieux le ressentiment qui existe entre les deux hommes et on peut nuancer notre point de vue sur le réalisateur, ou du moins lui donner une plus grande épaisseur.

Constance Meyer. C’était aussi l’occasion de raconter la dimension parfois grotesque des rapports d’ego, et le tragi-comique qui en découle. Nous voulions que les scènes de dépositions rythment le spectacle et introduisent dès le début une réflexion sur la question du point de vue.

  • Chantal Hurault. Le sujet de la création pose aussi la question de la réception d’une œuvre…

Sébastien Pouderoux.. C’est une problématique centrale pour Cassavetes : qu’est-ce qu’on attend d’une œuvre ? Nous explorons cette question dans les scènes de critiques et dans l’affrontement entre Pauline Kael et Thierry Raymond, personnage inspiré en partie de Ray Carney, auteur du livre-somme Cassavetes par Cassavetes et admirateur de son œuvre.

Constance Meyer. Cassavetes s’opposait vigoureusement aux règles préétablies du storytelling hollywoodien qui indiquent au spectateur ce qu’il doit penser ou ressentir. Gena Rowlands, dans son travail d’actrice, partageait cette défiance à l’égard des « évidences » : ne rien présupposer, chercher à rendre vivants les questionnements des personnages et leurs contradictions.

  • Chantal Hurault. Les personnages qui entourent John et Gena ont des trajectoires très différentes, parfois en miroir. Comment avez-vous conçu leur parcours dans la pièce ?

Sébastien Pouderoux.. Nous avons choisi de ne représenter qu’un nombre restreint de personnages de l’entourage du couple. Peter Falk, par exemple, qui a longtemps été heurté par la « méthode » Cassavetes nous semblait une figure plus théâtrale et riche que celles de Ben Gazzara ou Seymour Cassel, qui bien qu’indissociables de la vie du réalisateur sont évoquées mais pas représentées. Pauline Kael a une place très importante car elle est, elle aussi, une pionnière en son genre ; elle défendait une forme de critique subjective novatrice pour l’époque. En cela elle est à la fois l’antagoniste de Cassavetes dans le spectacle et une sorte de « personnage miroir ».

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  • Chantal Hurault. Le texte comporte une dimension comique. D’où vient-elle ?

Sébastien Pouderoux. Le comique surgit de l’obstination des personnages, de la passion avec laquelle ils s’entêtent. Nous sommes très attachés à la diversité des registres. Cassavetes est une sorte de Misanthrope américain, avec la même radicalité comique. C’est d’ailleurs ce qui nous a touché dans ses films : le comique désespéré de ses personnages et la façon qu’ils ont de rire d’une vie qu’ils tentent de dompter sans jamais y parvenir.

  • Chantal Hurault. Comment avez-vous pris la nouvelle du décès de Gena Rowlands, alors que vous aviez déjà commencé à répéter ?

Constance Meyer. Notre pièce est habitée par l’idée de la mort, de la finitude de ces gens si vivants. Gena Rowlands était la seule de tous les personnages « réels » qui était encore en vie. C’était troublant d’être rattrapés par la réalité, et d’être émus par la disparition de quelqu’un que nous n’avons jamais connu, mais dont le travail, le regard et la voix ont fait partie de nos vies pendant de longs mois. La pièce est imprégnée de sa personnalité et de son travail hors norme.

Entretien réalisé par Chantal Hurault
Responsable de la communication et des publications du Théâtre du Vieux-Colombier

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CASSAVETES AU CINÉMA L’ARLEQUIN
Vendredi 11 octobre à 19h
Love Streams
projection présentée par Constance Meyer et Sébastien Pouderoux

Dimanche 13 octobre à 18h
Un enfant attend projection présentée par Dominique Blanc
L’Arlequin (Dulac cinémas), 76 rue de Rennes, Paris 6e
Tarifs préférentiels

JOHN & GENA, CRÉER ENSEMBLE : FOCUS LACINETEK
Site streaming consacré aux grands films des xxe et début du xx Ie siècles choisis par des cinéastes du monde entier, La Cinetek donne carte blanche à Constance Meyer et Sébastien Pouderoux. Leur sélection est à découvrir sur lacinetek.com


QUELLE COMÉDIE ! LE PODCAST
#3 La création de Contre Constance Meyer et Sébastien Pouderoux
Par Béline Dolat
Disponible sur Spotify, Deezer et Apple Podcast
Dès le 30 septembre

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